Transformation du boustrophédon

La transformation du boustrophédon, ou algorithme boustrophédon, est une méthode mathématique permettant d'obtenir les coefficients du développement en série de Taylor des fonctions tangente, et sécante. Son nom fait référence au boustrophédon, une écriture dont le sens de lecture alterne d'une ligne à l'autre.

Construction du triangle boustrophédon

Chaque ligne s'écrit dans le sens contraire de la précédente, en commençant par zéro ; et chaque terme se calcule en effectuant la somme du terme écrit précédemment et du terme écrit au-dessus, entre le précédent et lui. En partant de 1, on obtient le tableau triangulaire[1],[2],[3]:

1
0 1
1 1 0
0 1 2 2
5 5 4 2 0
0 5 10 14 16 16
61 61 56 46 32 16 0
0 61 122 178 224 256 272 272etc.

Par exemple, le terme 14 est obtenu en faisant 10 + 4, ou 5 + 5 + 4 tandis que le terme 56 est obtenu en faisant 46 + 10 ou 16 + 16 + 14 + 10.

Plus formellement, le triangle des B ( n , k ) {\displaystyle B(n,k)} est défini pour 0 k n {\displaystyle 0\leqslant k\leqslant n} par :

B ( 0 , 0 ) = 1 {\displaystyle B(0,0)=1}

et pour n 1 {\displaystyle n\geqslant 1}  :

  • Si n {\displaystyle n} est pair : B ( n , n ) = 0 , B ( n , k ) = B ( n , k + 1 ) + B ( n 1 , k ) {\displaystyle B(n,n)=0,B(n,k)=B(n,k+1)+B(n-1,k)} pour 0 k n 1 {\displaystyle 0\leqslant k\leqslant n-1}
  • Si n {\displaystyle n} est impair : B ( n , 0 ) = 0 , B ( n , k ) = B ( n , k 1 ) + B ( n 1 , k 1 ) {\displaystyle B(n,0)=0,B(n,k)=B(n,k-1)+B(n-1,k-1)} pour 1 k n {\displaystyle 1\leqslant k\leqslant n} [1].

Ce triangle est nommé triangle d'Euler-Bernoulli par Vladimir Arnold en 1992[2],[3] ("parce que Pascal ne l'a pas considéré, et parce qu'Euler et Bernoulli ne l'ont pas considéré non plus") mais surtout car les nombres non nuls de gauche sont les nombres d'Euler et ceux de droite sont liés aux nombres de Bernoulli. L'appellation "boustrophédon" apparait sous la plume de Millar, Sloane, Young en 1996[4], reprise par Conway et Guy[5].

En 1995, X. Gourdon et P. Dumas donne l'algorithme boustrophédon comme exemple de programme du logiciel Maple[6].

Il est répertorié comme suite A008280 de l'OEIS.

Développement de la fonction tangente

La transformation du boustrophédon permet d'obtenir le développement limité de la fonction tangente en 0[1],[7].

La suite ( B ( n , n ) ) n 1 {\displaystyle (B(n,n))_{n\geqslant 1}} des nombres formant le côté droit de ce triangle (sans le premier chiffre), soit 1, 0, 2, 0, 16, 0, 272, etc., donne la suite des coefficients du développement limité de la fonction tangente en 0 (en commençant par celui de x 1 {\displaystyle x^{1}} ) :

tan ( x ) = 1 × x 1 1 ! + 0 × x 2 2 ! + 2 × x 3 3 ! + 0 × x 4 4 ! + 16 × x 5 5 ! + 0 × x 6 6 ! + 272 × x 7 7 ! + o ( x 7 ) {\displaystyle \tan(x)=1\times {\frac {x^{1}}{1!}}+0\times {\frac {x^{2}}{2!}}+2\times {\frac {x^{3}}{3!}}+0\times {\frac {x^{4}}{4!}}+16\times {\frac {x^{5}}{5!}}+0\times {\frac {x^{6}}{6!}}+272\times {\frac {x^{7}}{7!}}+o(x^{7})}

ce qui donne, après simplification :

tan ( x ) = x + 1 3 x 3 + 2 15 x 5 + 17 315 x 7 + o ( x 7 ) {\displaystyle \tan(x)=x+{\frac {1}{3}}x^{3}+{\frac {2}{15}}x^{5}+{\frac {17}{315}}x^{7}+o(x^{7})} .

En poursuivant à l'infini, on obtient le développement en série de Taylor de la fonction tangente en 0 : tan x = n = 1 T n x 2 n 1 ( 2 n 1 ) ! , | x | < π / 2. {\displaystyle \operatorname {tan} x=\sum _{n=1}^{\infty }T_{n}{\frac {x^{2n-1}}{(2n-1)!}},|x|<\pi /2.}

La suite ( T n ) n 1 = ( B ( 2 n 1 , 2 n 1 ) ) n 1 = ( tan ( 2 n 1 ) ( 0 ) ) = ( 1 , 2 , 16 , 272 , . . . ) {\displaystyle (T_{n})_{n\geqslant 1}=(B(2n-1,2n-1))_{n\geqslant 1}=(\tan ^{(2n-1)}(0))=(1,2,16,272,...)} est appelée suite des nombres tangents, ou parfois des nombres d'Euler de deuxième espèce[8].

Elle est répertoriée comme suite A000182 de l'OEIS, et avec les zéros intercalés, comme suite A350972 de l'OEIS.

Une définition par récurrence forte est T 1 = 1 , T n + 1 = k = 1 n ( 2 n 2 k 1 ) T k T n + 1 k {\displaystyle T_{1}=1,T_{n+1}=\sum _{k=1}^{n}{\binom {2n}{2k-1}}T_{k}T_{n+1-k}} (application par la formule de Leibniz de tan = 1 + tan 2 {\displaystyle \tan '=1+\tan ^{2}} ).

Le nombre T n {\displaystyle T_{n}} est le nombre de permutations alternées ascendantes de longueur 2 n 1 {\displaystyle 2n-1}  ; il s'exprime en fonction des nombres de Bernoulli.

Développement de la fonction sécante

La suite ( B ( n , 0 ) ) n 0 {\displaystyle (B(n,0))_{n\geqslant 0}} formant le côté gauche du triangle (avec le premier chiffre), soit 1, 0, 1, 0, 5, 0, 61, 0, etc., donne la suite des coefficients du développement limité de la fonction sécante en 0 (en commençant par celui de x 0 {\displaystyle x^{0}} , c'est-à-dire le terme constant)[1],[7].

sec ( x ) = 1 cos x = 1 + 0 × x 1 1 ! + 1 × x 2 2 ! + 0 × x 3 3 ! + 5 × x 4 4 ! + 0 × x 5 5 ! + 61 × x 6 6 ! + 0 × x 7 7 ! + o ( x 7 ) {\displaystyle \sec(x)={\frac {1}{\cos x}}=1+0\times {\frac {x^{1}}{1!}}+1\times {\frac {x^{2}}{2!}}+0\times {\frac {x^{3}}{3!}}+5\times {\frac {x^{4}}{4!}}+0\times {\frac {x^{5}}{5!}}+61\times {\frac {x^{6}}{6!}}+0\times {\frac {x^{7}}{7!}}+o(x^{7})} .

En poursuivant à l'infini, on obtient le développement en série de Taylor de la fonction sécante : sec x = n = 0 E n x 2 n ( 2 n ) ! , | x | < π / 2. {\displaystyle \operatorname {sec} x=\sum _{n=0}^{\infty }E_{n}{\frac {x^{2n}}{(2n)!}},|x|<\pi /2.}

La suite ( E n ) n 0 = ( B ( 2 n , 0 ) ) n 0 = ( sec ( 2 n ) ( 0 ) ) = ( 1 , 1 , 5 , 61 , 1385 , . . . ) {\displaystyle (E_{n})_{n\geqslant 0}=(B(2n,0))_{n\geqslant 0}=(\sec ^{(2n)}(0))=(1,1,5,61,1385,...)} est appelée suite des nombres sécants, ou des nombres d'Euler[8]. Elle est répertoriée comme suite A000364 de l'OEIS, et avec les zéros intercalés et alternance de signes, comme suite A122045 de l'OEIS.

Une définition par récurrence forte faisant intervenir les nombres tangents est E 0 = 1 , E n + 1 = k = 0 n ( 2 n + 1 2 k ) E k T n + 1 k {\displaystyle E_{0}=1,E_{n+1}=\sum _{k=0}^{n}{\binom {2n+1}{2k}}E_{k}T_{n+1-k}} (application par la formule de Leibniz de sec = sec . tan {\displaystyle \sec '=\sec .\tan } ).

Le nombre E n {\displaystyle E_{n}} est le nombre de permutations alternées ascendantes de longueur 2 n {\displaystyle 2n} .

Autre présentation du triangle

Si l'on définit le triangle des nombres E ( n , k ) {\displaystyle E(n,k)} pour 0 k n {\displaystyle 0\leqslant k\leqslant n} par [9] :

E ( 0 , 0 ) = 1 {\displaystyle E(0,0)=1}

et pour n 1 {\displaystyle n\geqslant 1}  :

E ( n , 0 ) = 0 {\displaystyle E(n,0)=0}

E ( n , k ) = E ( n 1 , n 1 ) + E ( n 1 , n 2 ) + + E ( n 1 , n k ) {\displaystyle E(n,k)=E(n-1,n-1)+E(n-1,n-2)+\cdots +E(n-1,n-k)} pour 1 k n {\displaystyle 1\leqslant k\leqslant n} , (ou E ( n , k ) = E ( n , k 1 ) + E ( n 1 , n k ) {\displaystyle E(n,k)=E(n,k-1)+E(n-1,n-k)} ),

autrement dit E ( n , k ) {\displaystyle E(n,k)} est la somme des k {\displaystyle k} derniers termes de la ligne précédente,

on obtient le même triangle que précédemment sauf qu'une ligne sur deux a son sens inversé[10],[11] : { E ( n , k ) = B ( n , k ) , pour  n  impair E ( n , k ) = B ( n , n k ) , pour  n  pair {\displaystyle {\begin{cases}E(n,k)=B(n,k),&{\text{pour }}n{\text{ impair}}\\E(n,k)=B(n,n-k),&{\text{pour }}n{\text{ pair}}\end{cases}}} .

Ce qui donne le triangle :

k
n
0 1 2 3 4 5 6
0 1
1 0 1
2 0 1 1
3 0 1 2 2
4 0 2 4 5 5
5 0 5 10 14 16 16
6 0 16 32 46 56 61 61

Par exemple, E ( 5 , 4 ) = 5 + 5 + 4 + 2 = 14 + 2 = 16 {\displaystyle E(5,4)=5+5+4+2=14+2=16} .

Sous cette forme, le triangle est nommé triangle des nombres d'Entringer, ce dernier l'ayant étudié en 1966[9], et répertorié OEIS A008282.

Le nombre E ( n , k ) {\displaystyle E(n,k)} s'interprète comme le nombre de permutations alternées σ {\displaystyle \sigma } de { 1 , 2 , , n + 1 } {\displaystyle \{1,2,\cdots ,n+1\}} commençant par une descente (dite descendante) et telles que σ ( 1 ) = k + 1 {\displaystyle \sigma (1)=k+1} [4].

On a alors sur la diagonale alternativement les nombres sécants et les nombres tangents : E ( 2 n , 2 n ) = E n {\displaystyle E(2n,2n)=E_{n}} , E ( 2 n 1 , 2 n 1 ) = T n {\displaystyle E(2n-1,2n-1)=T_{n}} .

La suite ( E ( n , n ) ) n 0 = ( A n ) = ( 1 , 1 , 1 , 2 , 5 , 16 , ) {\displaystyle (E(n,n))_{n\geqslant 0}=(A_{n})=(1,1,1,2,5,16,\cdots )} est la suite des nombres de permutations alternées ascendantes, (ou descendantes) répertoriée comme suite A000111 de l'OEIS.

Elle peut être définie par sa fonction génératrice exponentielle 1 cos x + tan x = tan ( x 2 + π 4 ) = n = 0 + A n x n n ! , | x | < π / 2 {\displaystyle {\frac {1}{\cos x}}+\tan x=\tan \left({\frac {x}{2}}+{\frac {\pi }{4}}\right)=\sum _{n=0}^{+\infty }A_{n}{\frac {x^{n}}{n!}},|x|<\pi /2} ,

ou par récurrence forte par A 0 = 1 , 2 A n + 1 = k = 0 n ( n k ) A k A n k {\displaystyle A_{0}=1,2A_{n+1}=\sum _{k=0}^{n}{\binom {n}{k}}A_{k}A_{n-k}} .

Application à des valeurs approchées du nombre Pi

Le rayon de convergence de la série Σ a n x n {\displaystyle \Sigma a_{n}x^{n}} a n = E ( n , n ) n ! {\displaystyle a_{n}={\frac {E(n,n)}{n!}}} étant égal à π / 2 {\displaystyle \pi /2} , lim a n 1 a n = π / 2 {\displaystyle \lim {\frac {a_{n-1}}{a_{n}}}=\pi /2} , donc π = lim 2 n × E ( n 1 , n 1 ) E ( n , n ) {\displaystyle \pi =\lim {\frac {2n\times E(n-1,n-1)}{E(n,n)}}} [10],[11].

Par exemple, pour n = 9 {\displaystyle n=9} , on obtient π 18 × 1385 / 7936 3 , 1414 {\displaystyle \pi \approx 18\times 1385/7936\approx 3,1414} . L’intérêt de cette méthode est de donner des valeurs approchées de π {\displaystyle \pi } uniquement à partir d'additions d'entiers, d'une multiplication et d'une division.

Transformation du boustrophédon

Schéma de principe des additions

La transformation du boustrophédon consiste à transformer une suite initiale ( a 0 , a 1 , ) {\displaystyle (a_{0},a_{1},\cdots )} en la suite ( b 1 , b 2 , ) {\displaystyle (b_{1},b_{2},\cdots )} suivant le schéma indiqué ci-contre[4]. L'algorithme indiqué ci-dessus consiste en le cas particulier où ( a 0 , a 1 , ) = ( 1 , 0 , 0 , ) {\displaystyle (a_{0},a_{1},\cdots )=(1,0,0,\cdots )} .

Voir aussi

Notes et références

  1. a b c et d (en) M.D. Atkinson, « How to compute the series expansion of sec x and tan x », AMM, vol. 95, no 5,‎ , p. 387-388 (lire en ligne Accès payant)
  2. a et b (en) V. I. Arnold, « The calculus of snakes and the combinatorics of Bernoulli, Euler and Springer numbers of Coxeter groups », Russian Mathematical Surveys, vol. 47, no 1,‎ , p. 1-51 (lire en ligne)
  3. a et b Vladimir Igorevitch Arnold, « Nombres d'Euler, de Bernoulli et de Springer pour les groupes de Coxeter et les espaces de morsification : le calcul des serpents. », dans Leçons de mathématiques d'aujourd'hui, Cassini,
  4. a b et c (en) Jessica Millar, N.J.A. Sloane, Neal E. Young, « A New Operation on Sequences: the Boustrouphedon Transform », Journal of Combinatorial Theory, vol. 76, no 1,‎ , p. 44–54 (lire en ligne)
  5. John H. Conway, Richard K. Guy, Le livre des nombres, Eyrolles, , p. 110, 111
  6. Xavier Gourdon, Philippe Dumas, Une introduction à Maple, INRIA, (lire en ligne), p. 33
  7. a et b Cunsheng Ding, Tor Helleseth, Sequences and Their Applications, Springer, 1999, p.122 The Boustrophedon transform
  8. a et b Alain Bouvier, Michel George et François Le Lionnais, Dictionnaire des mathématiques, PUF, 2001, 6e édition, p. 320.
  9. a et b (en) R. C. Entringer, « A Combinatorial Interpretation of the Euler and Bernoulli Numbers », Nieuw Arch. Wisk., vol. 14,‎ , p. 241-246
  10. a et b Collectif, Numéro spécial pi, ADCS, supplément au petit Archimède n° 64-65, , p. 231-232, article de G. Kreweras
  11. a et b Jean-Paul Delahaye, Le fascinant nombre pi, vivante énigme mathématique, Le Monde / Belin, (lire en ligne), p. 24
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