Théorème d'Eisenstein

Le théorème d'Eisenstein est le résultat suivant de géométrie arithmétique, démontré par Gotthold Eisenstein[1] :

Si une série formelle y = n N a n X n {\displaystyle y=\sum _{n\in \mathbb {N} }a_{n}X^{n}} est algébrique — au sens : solution de P(X, y) = 0 pour un polynôme non nul P(X, Y) à coefficients algébriques — alors[2] il existe un entier non nul A tel que pour tout n > 0, Anan soit un entier algébrique[3],[4].

En particulier si les coefficients an sont rationnels alors les Anan sont entiers[5], donc les facteurs premiers des dénominateurs des an appartiennent à l'ensemble fini des facteurs premiers de A. « Une conséquence immédiate de ce résultat, citée d'ailleurs par Eisenstein, est la transcendance des fonctions logarithme ou exponentielle, « mais aussi de beaucoup d'autres »[6]. »

Exemple

Pour tout entier p > 0,

( 1 x ) 1 / p = 1 n = 1 C p , n 1 p 2 n 1   x n {\displaystyle (1-x)^{1/p}=1-\sum _{n=1}^{\infty }{\frac {C_{p,n-1}}{p^{2n-1}}}~x^{n}}

où les nombres positifs Cp,n, qui généralisent ceux de Catalan Cn (correspondant au cas p = 2) sont entiers, car on déduit de leur série génératrice, z := n = 0 C p , n x n = 1 ( 1 p 2 x ) 1 / p p x , {\displaystyle z:=\sum _{n=0}^{\infty }C_{p,n}x^{n}={\frac {1-(1-p^{2}x)^{1/p}}{px}},} la valeur Cp,0 = 1 et la relation de récurrence[7] n N C p , n = 2 k p ( p k ) p k 2 ( 1 ) k i 1 + + i k = n k + 1 C p , i j . {\displaystyle \forall n\in \mathbb {N} ^{*}\quad C_{p,n}=\sum _{2\leq k\leq p}{p \choose k}p^{k-2}(-1)^{k}\prod _{i_{1}+\dots +i_{k}=n-k+1}C_{p,i_{j}}.}

Démonstration

Soit N le degré par rapport à la variable Y du polynôme P(X, Y). Il existe alors des polynômes Pj(X, Y) (à coefficients algébriques) tels que

P ( X , Y + Z ) = j = 0 N P j ( X , Y ) Z j . {\displaystyle P(X,Y+Z)=\sum _{j=0}^{N}P_{j}(X,Y)Z^{j}.}

Par hypothèse, P(X, y) = 0. De plus, sans perte de généralité, P1(X, y) ≠ 0 — sinon, il suffit de remplacer P(X, Y) par P1(X, Y), qui est non nul et dont le degré en Y est < N.

Soit m la valuation de P1(X, y), c'est-à-dire le plus petit indice k pour lequel le coefficient de Xk dans cette série formelle est non nul. On coupe alors y en deux :

y = u + X m + 1 v p o u r u = n = 0 m + 1 a n X n e t v = n = 1 b n X n ( b n = a m + 1 + n ) . {\displaystyle y=u+X^{m+1}v\quad {\rm {pour}}\quad u=\sum _{n=0}^{m+1}a_{n}X^{n}\quad {\rm {et}}\quad v=\sum _{n=1}^{\infty }b_{n}X^{n}\quad (b_{n}=a_{m+1+n}).}

Comme on sait que sous les hypothèses du théorème, tous les an sont des nombres algébriques[8], il suffit, pour prouver la propriété annoncée pour y, de la démontrer pour v {\displaystyle v} . Or

0 = P ( X , y ) = P 0 ( X , u ) + P 1 ( X , u ) X m + 1 v + j = 2 N P j ( X , u ) ( X m + 1 v ) j . {\displaystyle 0=P(X,y)=P_{0}(X,u)+P_{1}(X,u)X^{m+1}v+\sum _{j=2}^{N}P_{j}(X,u)(X^{m+1}v)^{j}.}

Par choix de m, le polynôme P1(X, u)Xm+1 est divisible par X2m+1 mais pas par X2m+2. Comme la somme est nulle, P0(X, u) est donc lui aussi multiple de X2m+1 et en divisant par cette puissance de X, on obtient

j = 0 N Q j ( X ) v j = 0 , j > 1 Q j ( 0 ) = 0 e t A := Q 1 ( 0 ) 0. {\displaystyle \sum _{j=0}^{N}Q_{j}(X)v^{j}=0,\quad \forall j>1\quad Q_{j}(0)=0\quad {\rm {et}}\quad A:=Q_{1}(0)\neq 0.}

Les coefficients des polynômes Qj sont algébriques. Quitte à les multiplier par un nombre adéquat, on peut donc supposer que ce sont des entiers algébriques et que A est même un entier. Alors, tous les Anbn sont des entiers algébriques, par récurrence sur n ≥ 1. En effet, en isolant le terme de degré n dans

j = 0 N Q j ( X ) ( n = 1 b n X n ) j = 0 , {\displaystyle \sum _{j=0}^{N}Q_{j}(X)\left(\sum _{n=1}^{\infty }b_{n}X^{n}\right)^{j}=0,}

on trouve que Abn est une combinaison linéaire, à coefficients entiers algébriques, de termes de la forme

1 i < n b i k i a v e c i k i < n . {\displaystyle \prod _{1\leq i<n}b_{i}^{k_{i}}\quad {\rm {avec}}\quad \sum ik_{i}<n.}

Notes et références

  1. (de) G. Eisenstein, « Über eine allgemeine Eigenschaft der Reihen-Entwicklungen aller algebraischen Funktionen », Bericht Königl. Preuß Akad. d. Wiss. zu Berlin,‎ , p. 411-444(de) Mathematische Gesammelte Werke, vol. II, Chelsea, , p. 765-767.
  2. La réciproque est fausse : (en) George Pólya et Gábor Szegő, Problems and Theorems in Analysis, vol. 2, Springer, (lire en ligne), p. 136.
  3. On rencontre des formulations équivalentes de cette conclusion : il existe un entier non nul A tel que pour tout n ≥ 0, An+1an soit un entier algébrique, ou encore : il existe des entiers non nuls A et B tels que pour tout n ≥ 0, BAnan soit un entier algébrique.
  4. (en) Wolfgang Schmidt, « Eisenstein's theorem on power series expansions of algebraic functions », Acta Arith., vol. 56, no 2,‎ , p. 161-179 (lire en ligne).
  5. (en) J. W. S. Cassels, Local Fields, Cambridge University Press, (lire en ligne), p. 28-30.
  6. Antoine Chambert-Loir, « Théorèmes d'algébricité en géométrie diophantienne : d'après J.-B. Bost, Y. André, D. & G. Chudnowski », Séminaire Bourbaki, vol. 43, no 886,‎ , p. 175-209 (lire en ligne).
  7. En utilisant que (1 – pxz)p = 1 – p2x et que le produit des séries génératrices correspond à la convolution des suites, cf. Thomas M. Richardson, « The Super Patalan Numbers », (arXiv 1410.5880).
  8. Le corps L qu'ils engendrent, sur le corps de nombres K engendré par les coefficients de P, est même une extension finie car [L:K] = [L((X)):K((X))] = [K((X))(y):K((X))] ≤ N.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

  • (en) E. J. Wilczynski, « On the form of the power series for an algebraic function », Amer. Math. Month., vol. 26, no 1,‎ , p. 9-12 (JSTOR 2974040)
  • (en) A. J. van der Poorten, « Power series representing algebraic functions », dans Séminaire de théorie des nombres, Paris 1990-91, Birkhäuser, (lire en ligne [archive du ]), p. 241-262
  • icône décorative Arithmétique et théorie des nombres